La Basilique de St Raphaël, gigantesque construction édifiée en même temps que la ville, est bâtie avec les pierres des Tuileries, détruites pendant l’incendie de la Commune en 1870. Ce n’est pas tant son architecture dite romano-byzantine, pur produit de l’éclectisme baroque de la fin du XIXème siècle, qui m’étonne. Ce qui m’étonne le plus est sa titulature : Notre Dame de La Victoire et non pas Notre Dame des Victoires comme à Paris, son architecte Pierre Aublé était très explicite, cette victoire est celle de Lépante, survenue le 7 octobre 1571. Elle eut lieu au débouché du Golf de Corinthe dans la Mer Ionienne. On sait que les flottes alliées occidentales (sauf la France, alliée du Sultan) y écrasèrent la flotte turque, qui se préparait à frapper la côte italienne. Il y a du reste dans la Basilique le facsimile du Christ en croix figurant sur la galère de l’Archiduc Don Juan d’Autriche lors de cette bataille. Curieux que dans ce petit coin de paradis dédié dès son origine aux vacances, à la détente et au soleil, on ait adopté une telle référence guerrière, peut-être parce que le mythe guerrier est justement inséparable de cette Méditerranée apparemment si calme et si voluptueuse, mais dont la violence périodique des éléments ne fait qu’annoncer la violence des hommes.
On sait depuis Fernand Braudel et son remarquable ouvrage « Méditerranée », aux Editions des Arts Graphiques (et non le « Méditerranée » à l’époque de Philippe II, non illustré) qu’il y a trois civilisations en Méditerranée, « monstres tapis dans leur tanière » : la Chrétienté catholique, de Gibraltar jusqu’à la Croatie, la Chrétienté orthodoxe, de la Serbie jusqu’à Istanbul, et l’Islam pour le reste. Ces trois tanières ont des limites sanglantes qui réapparaissent périodiquement dans l’actualité, comme en fait cas la guerre de Yougoslavie, la guerre du Liban, les attentats djihadistes en Espagne ou chez nous.
Le monstre peut sortir de son antre, il y sera toujours périodiquement reconduit. Athènes a dominé le sud de l’Italie et n’a pu le garder. L’Empire romain a pu tout unifier, il n’a pu rester. L’Empire byzantin a ensuite essayé, il ne s’y est pas maintenu. La France a dominé le Maghreb, mais a dû en partir. Les Musulmans ont gouverné l’Espagne et le sud de l’Italie, avant d’en être chassés. La bataille de Lépante ne fut qu’un des innombrables épisodes entre deux de ces monstres, le catholicisme et l’Islam.
Je pense que j’aurai l’occasion de revenir sur ces notions.
Joël GIACCHERO
P.S. : J’ai parlé de la vieille ville navale de Fréjus : les guides touristiques se trompent régulièrement, le Parvis de la Cathédrale de Fréjus (elle est toujours Cathédrale de l’Evêque de Toulon, portant le titre de co-Evêque de Toulon et Fréjus) s’appelle Esplanade Jean XXII, en l’honneur de Jacques Dueze, Evêque de Fréjus, avant de devenir Pape sous ce nom en Avignon. St Raphaël n’a sans doute pas voulu être en reste et son parvis s’appelle Pape Jean XXIII.